Le vin naturel

Depuis plusieurs années, la notion de vin « nature » ou « naturels » s’impose avec une insistance croissante dans le paysage vinicole. Elle a en commun avec la notion de vin « bio » de prospérer sur le terreau d’une viticulture globalement soumise aux exigences productivistes de l’industrie agroalimentaire, et jugée comme telle inacceptable par une part non négligeable des vignerons de France et d’ailleurs. Mais à la différence du vin « bio », qui est plus exactement un « vin issu de raisins de l’agriculture biologique » et ne peut légalement faire porter sa revendication que sur la partie culturale, le vin « naturel » étend son ambition à l’ensemble du processus de production, de la plantation et du travail du sol aux soins de la vignes, à la vendange, à la vinification et à l’élevage, et jusqu’à la mise en bouteille. Le vin « naturel » associe dans une même démarche, la plus cohérente possible, le travail du viticulteur et celui du vinificateur, réunis dans la personne du vigneron. Et à la différence du vin « bio », qui est défini légalement et soumis à un contrôle, le vin « naturel » relève d’une démarche personnel du vigneron, d’un projet, et non de principes et de règles fixes, et encore moins d’une loi dont il faudrait simplement remplir les conditions.

La philosophie du vin naturel repose sur deux piliers. Le premier est le respect de la nature avec souvent une démarche biologique (organique) ou biodynamique, le respect des raisins par une vinification sans intrants et non interventionniste si possible. Le deuxième, le respect du consommateur, par l’aspect sanitaire, par une approche équitable, une meilleur buvabilité et digestibilité, tout en essayant de conserver au vin stabilité et durée de vie. Contrairement aux idées reçues, ces vins se conservent bien, même ouverts.

Vin vivant, vin bio, vin fermé

Jean Pierre Robinot, vigneron naturel à Chahaignes dans la Sartre, nous fait partager sa vision du vin nature :
…Le vin dit « naturel », que je préfère qualifier de vin « vivant », valorise une qualité de vin relative à une perception et à une transmission qui ne le plie pas aux critères du marché validant l’usage de la technico-chimie. Ce vin là, on l’accompagne au cours de son évolution naturelle. A partir du moment où on y rajoute des éléments exogènes qui interfèrent avec sa pureté en altérant ses molécules, le caractère vivant du vin s’estompe.

Ceci dit il est urgent de dissiper la confusion entre les deux notions de « vin naturel » et de « vin bio », étant donné que la plupart des consommateurs achètent du vin bio convaincus de boire du vin naturel, tandis que la mention de biologique ne garantit en rien le renoncement à des ajouts lors de la phase de vinification. D’ailleurs, si l’on prête attention à ce qui est marqué sur les étiquettes des vins dont il est question, on ne lira pas « vin bio » mais « raisins issus de l’agriculture biologique ». Le label certifie que l’on a eu recours à aucun intrant en phase de culture du raisin, parce que les vignes sont régulièrement soumises à des contrôles. Mais vu qu’il n’existe aucune charte de vinification avec des analyses correspondantes sur le vin en tant que produit final, on ne peut prouver que ce produit final est bio. Il y a bien entendu une liste de produits que l’on interdit d’ajouter dans les vins issus de l’agriculture biologique, mais il est laissé quand même au vigneron la liberté d’opérer sa vinification comme il l’entend, du fait de l’absence de contrôle.

Ce qui empêche le producteur de vin naturel de tricher – même s’il nous arrive de recourir à un ou deux grammes de SO2, et nous sommes prêt à le certifier –, c’est une sorte de code déontologie non écrit mais intériorisé, qui nous engage éthiquement. Plus encore c’est un certain état philosophique qui inspire au vigneron un profond respect de la matière vivante et du vin. Nous sommes mus par quelque chose qui nous fait rechercher la pureté du vin. Et, puisque nous ne sommes sujets à aucun contrôle, toute garantie officielle de l’absence de produits rajoutés dans nos vins échoit entièrement à notre conscience, à notre honnêteté, au fait de faire honneur à notre liberté. Comme il n’existe pas de normes précises en la matière, le vin naturel se fait sur la base d’un rapport de confiance entre le vigneron et le destinataire du vin.

Puisque notre aspiration est d’atteindre la pureté totale du vin, nous cherchons des voies pour l’obtenir à partir de la seule matière vivante. Voilà une entreprise bien ardue, qui requière au préalable une relation harmonieuse avec la terre et un équilibre des composants de la matière. Cet effort rapproche à mon sens, le travail sur le vin naturel de la création artistique. Tel un artiste, le vigneron est capable de pénétrer l’intimité de la matière qui s’offre à lui et, guidé par sa propre sensibilité, de construire une représentation du vin qu’il destine à la mise en bouteille. Il y a, à ce propos, un écart de conception chez mes collègues et copains : un tel déclare tout confier à la nature, un autre affirme se borner à l’accompagner.

Quant à moi je conçois le travail viticole comme une surveillance maîtrisé impliquant des connaissances, et surtout de la sensibilité.

La fabrication du vin vivant est un art, selon moi, dans la mesure où elle est l’expression de son auteur, lequel fait évoluer la matière de base vers une direction qu’il a choisie, en lui transmettant quelque chose qui hante son âme. C’est au vigneron, au fur et à mesure que le processus de vinification s’accomplit, de concrétiser quelque chose, d’interpréter les signes que lui adresse le liquide, d’employer des méthodes qui lui conviennent, de décider jusqu’où il veut aller, de sentir que l’œuvre est terminée et d’apposer sa signature sur le bouchon avec la marque du millésime….

Quand on décide que l’œuvre est terminée, que le moment est venu d’embouteiller, c’est que le vin reflète l’idée que l’on voulait lui faire exprimer. N’est ce pas cela le vin, une façon de penser relative à chaque vigneron et la sensibilité de l’être qui l’a vinifié ? La preuve en est qu’il n’y a aucun homme capable de faire deux fois le même vin, et c’est pour cette raison que l’on peut tenir le vin pour œuvre d’art, personnalisé, à chaque fois unique.

Critique du jugement : de nouveaux critères de goûts

Cette nouvelle façon d’appréhender les vins nécessite une remise en question des « grilles d’analyse » de dégustation, voire une rééducation de ses papilles et de son cerveau, afin de tordre le cou à ces à priori qui parasitent notre jugement. Le dégustateur doit savoir aller au delà de ces préjugés.

Le vin est une œuvre d’art qui se juge avec les sens (au moins trois). De la même façon que l’appréciation des arts requiert une éducation et une sensibilité, la dégustation d’un vin implique de développer une nouvelle sensibilité gustative pour pouvoir le comprendre, pour aller à la découverte d’une émotion qui ne soit pas conditionné par l’étiquette et les modes oenologiques convenus. Tout le monde est capable d’entendre une fausse note émaner d’un violon. De la même manière, pour les amateurs de vin naturel il est très facile de distinguer, dès que l’on porte le verre au nez, un vin vivant d’un vin trafiqué. La différence est radicale.

Mais les consommateurs qui découvrent pour la première fois le vin vivant et qui sont plus accoutumés aux produits traditionnels, le jugent à travers leurs paramètres habituels et parviennent mal à saisir sa complexité exubérante, sa vivacité et sa finesse. Comme toute nouvelle expression artistique, le vin vivant impose un changement dans le système de perception et il ne peut être jugé qu’à partir des critères que sa spécificité génère. Face à une gamme étendue de goûts inconnus ouvrant sur un monde inexploré, ceux qui abordent le vin naturel sont plus souvent dérangés par les aromes d’une substance en liberté, libérée de la prison d’un goût stéréotypé, qui est le caractère dominant des vins « fermés » dressant des murs infranchissables entre notre palais et la matière. Aussi, pour jouir de toute l’élégance et de l’énergie de la vérité du vin « ouvert », « ouvert au goût », pour le goûter avec le même plaisir que l’on éprouverait en contemplant une peinture ou en écoutant une musique, il faut acquérir une nouvelle sensibilité, une culture autre du goût.…

Règles et AOC

… L’AOC (Appellations d’Origines Contrôlées) est une marque déposée où le C – conformité au standard – est l’élément principal, garant du A et du O.
La mission des AOC arrive a un point crucial : une appellation c’est ce qui est contrôlé, ce qui est incontrôlé ou incontrôlable ne peut donc être appellation… une telle perle syllogistique a le mérite de désigner clairement l’enjeu du dernier acte : les AOC ont perdu de leur contenu pour devenir forme restrictive, voir carcan, et les vignerons dont la préoccupation principale est le contenu, c’est-à-dire une somme de qualités, apparaissent hors norme. 

Le terroir

… Tout ce qui – de la sélection clonale au concentrateur, du désherbant à l’acide tartrique, des levures exogènes à la chaptalisation – s’interposent entre la plante et son milieu rend la vigne et son fruit étranger au terroir et fait écran entre ce terroir et le vin. Plus personne ne peut ignorer aujourd’hui que parler de terroir sans critiquer cet « écran » n’est que rhétorique creuse. Pour le dégustateur/consommateur, le terroir peut presque être défini par l’absurde : il est ce qui manque quand on tue le sol, qu’on ne respecte pas les particularités annuelles du climat, qu’on méprise les bactéries indigènes, qu’on confond beauté et chirurgie esthétique…

Conclusion

La notion de vin naturel ne date pas d’hier pourtant la chimie d’après-guerre a été utilisé à outrance et est venue perturber ce travail de la terre. La chimie a fait des miracles pour répondre au besoin de sociétés commerciales souhaitant un produit stable et uniforme.

Rendement et rentabilité ont remplacé les mots respect et qualité du produit. Le vin doit rester vivant, il doit nous surprendre de par son terroir, son millésime et le savoir faire du vigneron. Le consommateur, formaté depuis des années aux vins chimiques doit apprendre à redécouvrir un vin non pas perdu, mais juste égaré dans le monde d’aujourd’hui. Certains vignerons rebelles ou atypiques ne se reconnaissant plus dans cette œnologie pré-formatée reviennent à un travail respectueux de la terre et une vinification accompagnatrice. « « Le vin « naturel », ce n’est pas une doctrine, c’est un idéal : l’idéal, c’est de vinifier sans intrant, en respectant le terroir – l’endroit d’où vient le raisin – et le millésime » 

Article tiré du site : alarencontredesvinsnaturels.fr

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